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SABLE

Quand ils jouent dans le sable, les enfants semblent préférer les châteaux faibles aux châteaux forts. Ils découvrent assez vite, en effet, que les attributs de la force étouffent les possibilités du jeu. Puissent-ils longtemps s’en souvenir !

Dans le désert, on ne verse que des larmes de sable.

« Le sable, c’est quand le vent frotte la montagne. » [Emprunté à un guide mauritanien]

SANTÉ

La santé est un moyen paisible de cheminer de la naissance jusqu’à la mort. Certainement pas un monstrueux projet qui confondrait le silence des organes avec la folle promesse de l’immortalité.

Entretenir ou recouvrer sa santé, c’est-à-dire l’usage de son énergie créatrice ou destructrice, c’est mettre cette énergie au service de la révolution de l’être.

SARDINE

Qui s’est cru sous-marin se retrouve sardine.

SATISFACTION

Se satisfaire de la satisfaction d’autrui est un projet de vie relativement satisfaisant. Relativement seulement.

SATISFAIRE

Souffrir d’avoir été trop vite satisfait. Et s’en souvenir.

SAUF

Rien ne vaut le silence, sauf si ce qu’on a à dire vaut mieux que le silence. Ni l’obscurité, sauf si ce qui en sort vaut la peine d’être vu. Ni l’indifférence, sauf si ce qui nous retient est en passe de disparaître à jamais. Etc. : rien ne vaut rien sans un « sauf ».

SAUVEUR

Le sauveur est prié de ne pas déranger ceux qui se massacrent en son nom.

SAVOIR

Seul le savoir sur le savoir est utilement décapant. C’est le savoir généraliste par excellence.

Apprendre de ceux qui croient savoir que ton savoir n’est jamais assez légitime pour concurrencer le leur. C’est-à-dire : attendre et subir tranquillement l’énoncé de leurs consignes, même les plus absurdes, puis n’en tenir aucun compte. Savoir et vérifier en cette occasion que leur savoir est souvent bien loin de rimer avec ton pouvoir.

Ecrire pour savoir – et faire savoir – ce qu’on pense. Commencer et finir de faire pour savoir – et faire savoir – ce qu’on fait.

SCEPTICISME

« Je vois », dit-il, « je vois… », et il ne voit rien du tout. Seule compte pour lui la rétention de vérité sous le masque du scepticisme.

SCORPION

Deux scorpions malicieux se tiennent par le dard : tout n’en finit jamais de recommencer.

SÉCURITÉ

La prison est une sécurité pour qui la quitte. La sécurité est une prison pour qui la cherche.

Née de l’estomac des enfants pour gagner leurs consciences, la Sécurité est une ogresse qui se nourrit de son propre cadavre. C’est un monstre plus difficile à colorier que la Solitude.

La sécurité est la négation de l’ordre du monde. L’esprit tranquille se consacre à ce qui est. Vivre est un risque immédiat et permanent.

SÉJOUR

Rendre service, tenir sa parole, obtenir son permis de séjour, puis recommencer sans cesse.

SEL

C’est le poids, et non le sel, que mesure la balance.

SENS

J’ignore le sens de ce que je fais avant d’avoir commencé à le faire.

Le sens, c’est tenir ensemble les morceaux du monde où l’on vit de façon à savoir à peu près où l’on va.

Le sens caché des choses ne se tient pas derrière elles, mais à l’intérieur d’elles. Il ne relève pas de l’énigme, mais de l’action et de la façon dont elle prend place dans l’océan de toutes les actions passées, actuelles et futures.

SENTIMENT

Tous les sentiments sont justes ; seule leur expression conduit aux erreurs d’interprétation.

SENTINELLE

Le plus grand danger, pour la sentinelle : l’ennemi putatif qui rôde ou l’endormissement qui le gagne ? Contre qui lutter ? Surtout si le sommeil gagne aussi l’ennemi…

SERRURE

Si je me laisse capturer entre les lignes où s’affichent mes mots, c’est pour mieux fuir ensuite la prison où ils peuvent me conduire. J’entends donc, quand je parle ou j’écris, prendre la main sur la clé tout autant que sur la serrure.

SERVICE

Oisiveté et méditation, discrétion et pertinence, efficacité et modestie, recherche de l’individu accompli au service d’un collectif qui se cherche.

Que faire (d’utile) quand on attend de moi des services plutôt que des explications, alors que je voudrais encore – et seulement – transmettre ?

SERVIR

Quand on sert un riche, il est servi. Quand on sert un pauvre, il est serré.

SEUL

Suis-je seul dans l’instant présent ? Si oui, pourquoi ne pas vivre celui-ci à ma guise ? Si non, relié à tout ce qui m’entoure, comment pourrais-je abdiquer de mes responsabilités en tous domaines ?

SIFFLER

Chaud devant ! Je passe en sifflant, mais je passe.

SIGNE

Persistance du signe : je persiste et je signe.

SILENCE

Des ombres du silence jaillissent les étincelles de la communication.

Je suis contraint d’échanger sans cesse mon point de vue contre un autre, tenu de parler ou de me taire, et quoiqu’il en soit de prendre position à l’égard du silence.

Le silence est l’écho des points d’interrogation.

Le silence est le refuge temporaire des combattants sur le front des discours. Il ne peut pas vraiment mentir, même par omission. Mais s’y enfermer confine à terme au no man’s land des demandeurs d’asile. Le silence n’a donc d’autre avenir que de s’affirmer comme l’atelier des nouveaux messages.

Lorsqu’il se veut refuge, le silence est un guet-apens de choix pour les armées du dialogue intérieur qui viennent l’assiéger.

Rompre le silence semble plus irréparable que couper la parole.

Nous cheminons la plupart du temps au coude à coude entre le silence et la communication.

Celui qui a dit « garde le silence, sauf si ce que tu as à dire vaut mieux que le silence » aurait-il mieux fait de garder le silence ?

Le silence est une drogue : dès qu’on y goutte, on est tenté d’augmenter les doses.

SIMPLIFIER

Il est compliqué de simplifier.

SINCERITÉ

L’homme sincère explique sans fard et sans exhibitionnisme comment, ayant prétendu mener sa vie, il est en réalité mené par elle. Il sait qu’il s’expose de la sorte au mieux aux reproches, au pire à l’incrédulité.

SINGE

Ce sont parfois les singes qui mettent les hommes en cage (pour les protéger de leurs libres exubérances, de leurs larcins intempestifs, etc.). Voici revenu le règne planétaire de l’animalité.

SOI

Trouver en soi les motifs de sortir de soi.

SOIF

Qui ne meurt pas de soif meurt d’être oublié.

SOLEIL

Le soleil règne sur l’idée que je me fais de lui.

Lutter, ou laisser faire ? Croire et donner des signes, ou renoncer et boire un verre au soleil ? Quel soleil ?

SOLIDARITÉ

Des diversités aux différences, et des différences aux inégalités : ajoutons-y des relations de dépendance, et c’en est fini de la solidarité.

Relié à tous, solidaire de toutes les souffrances et de toutes les errances, je ne résiste à rien afin de mieux aller où je veux aller, libre d’être disponible, disponible parce que refusant de me soumettre, au cœur du désordre établi, à ce qui cherche à vaincre plutôt qu’à convaincre. Liberté, disponibilité, solidarité.

SOLITUDE

C’est être de nouveau seul que de savoir à quel point on ne l’est jamais.

Je ne sais pas où je vais, car je n’y vais pas seul.

La solitude se vit au point aveugle de la nécessité.

Toute solitude est irrégulière.

Un corbeau a chassé tous les autres oiseaux posés sur les branches de l’arbre. Maintenant, il croasse pour attirer l’attention sur sa solitude.

La solitude permet à toutes les identités du sujet de coexister sous une même enveloppe – charnelle, sociale et mentale – , à son esprit de se mouvoir en caleçon à toute heure du jour et de la nuit, et au silence de devenir cet atelier qui a besoin des mots pour être apprécié comme tel.

Présent au départ comme à l’arrivée, mais absent de la course : la solitude n’est supportable que relative et relativisée.

Subir / chérir la solitude : dans quel ordre ?

C’est quand je me surprends à parler à mon horloge que je commence à mesurer l’intensité de ma solitude.

SOLUTION

Percevoir en soi comment s’exprime le problème, puis faire un pas de côté. Le détachement de soi, lieu du problème, est le début de la solution.

Les solutions résident le plus souvent au cœur des problèmes. Mais on croit à tort que les seconds sont plus nombreux que les premières et l’horizon s’en trouve encombré.

SOMBRE

Rien n’interdit aux idées lumineuses de naître en de sombres circonstances.

SOUFFLE

Le premier souffle est douloureux, mais c’est le premier souffle.

SOUFFLEUR

La tentation ultime de tout acteur est de disparaitre dans la fosse désertée par le souffleur pour se mettre à son tour au service de l’ensemble du texte et de l’ensemble de la troupe.

SOMMEIL

Dilemme du sommeil : pour que l’expérience de vie du prolétaire rejoigne et sécurise celle de l’actionnaire, faut-il surtout payer le premier pour l’endormir ou le second pendant qu’il dort ? Le prolétaire n’est-il admis à revendiquer qu’en rêve ? Pour se réveiller normalisé ? L’actionnaire peut-il échapper au destin de se réveiller plus riche encore que dans ses rêves ? Quel statut de classe pour les cauchemars ?

SOUFFRANCE

La souffrance ne confère pas de légitimité particulière à qui en recueille l’expression.

S’affranchir de cette souffrance qui tend à s’identifier, en prétendant vouloir la soulager, à celle d’autrui.

SOUFFRIR

Il est dérisoire de souffrir d’avoir perdu le désir de vivre.

SOURCE

La vigilance est requise à la source plutôt qu’à l’embouchure, quand bien même on ignore de quelle cause la source elle-même est l’effet et ce que l’océan en attend.

SOURIRE

Les sourires sont des messages venus d’une intériorité moins souvent amicale que résignée.

STRATÉGIE

Une seule stratégie collective est promise au succès : reconnaître sincèrement, joyeusement et systématiquement les talents de chaque protagoniste du débat, dès lors que celui-ci se propose comme une alternative au combat.

SUICIDE

Considérer le suicide comme une lâcheté donne à penser qu’il faut du courage pour vivre.

Le suicide hésite entre la tentative de parler et l’intention de se taire.

SUJET

Le sujet parle de ce dont il s’agit quand il agit.

SUPERFICIE

Connaître sans miroir la place que la superficie occupe au fond de soi.

SURVIE

Mentir sur sa vie pour organiser sa survie comme il l’entend devrait être considéré comme un nouveau droit de l’homme. Sans interdire l’option du suicide, cette restitution sincère de la mort aux vivants.

Les animaux écrivent à même le sol le sens de leur survie.

SURVIVRE

On peut se tuer à force de vouloir survivre.

SUSPECT

Je n’ai tellement besoin de rien que cela me semble suspect.

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