PAGE
Toute nouvelle page est le présent du futur.
PAIX
Quelle est cette paix qui ne payerait aucun tribut aux hostilités qui l’ont engendrée ?
Sur l’autel de la paix, bien choisir ce que l’on sacrifie.
Toute vérité comporte une part d’erreur, et toute erreur une part de vérité : pourquoi les opposer si on veut vivre en paix ?
La paix est un meilleur guide que la recherche de la paix. Elle aide à considérer d’emblée les obstacles comme parties prenantes du chemin, et le chemin comme le but du chemin.
La paix est à portée de main, mais la guerre m’a coupé la main.
PAPILLON
A chaque jour suffit son papillon.
PARENTS
Les « enfants rois » ont besoin de parents démocrates.
Apparent ou transparent, le paradoxe des parents ?
PARLER
Nous sommes quelques-uns à ne pas aimer parler pour ne rien faire, et à ne pas aimer faire pour ne rien dire. Ce que nous avons fait nous aide à dire, dans l’après-coup, pourquoi nous l’avons fait.
PAROLE
La parole peut réduire au silence ce dont elle prend la place.
PASSÉ
On ne connait que le passé, et encore ! Il arrive à certains de rester assis sur leur chaise jusqu’à leur mort, à guetter sans cesse ce que leur réserve le passé.
PASSION
Se prémunir des passions qui enferment sans expulser les sentiments qui ouvrent et libèrent. Et réciproquement : il y a en effet des sentiments qui clouent au sol et des passions qui donnent accès aux vertiges de l’infini.
PATINOIRE
Avancer méthodiquement sur la patinoire des intentions pour atteindre la fenêtre, puis gagner la hauteur qui me fait ciel.
PAUVRE
À force d’agresser les riches, je risque d’oublier tout ce que je dois aux pauvres.
Quand on sert un riche, il est servi. Quand on serre un pauvre, il est serré.
Le pauvre est comme le soleil, ne se levant que pour se coucher. Pour l’un comme pour l’autre, le temps n’a ni de début ni de fin.
La mégalomanie des pauvres se doit d’être sans limites.
« Les pauvres s’ennuient, le soir venu. Ils n’ont rien d’autre à faire que l’amour. » [emprunté à un militant environnementaliste béninois]
PEAU
Je suis venu mourir à quelques secondes de ta peau, trop vite pour que tu le saches.
PEINTRE
Le peintre n’impose pas une présence, il la révèle (et remercie la lumière).
PELOTE
Tout est en place sur le métier à tisser de l’imaginaire pour que le fil d’Ariane fasse pelote.
PENSÉE
Observations, questions, rythmes de la pensée, hypothèses, atmosphère.
La pensée est le brouillon de l’acte.
PENSER
Il faudrait, dans l’idéal, penser vite, loin et juste.
PENTE
Avancer sur le chemin de la vie, sans effort ni relâche, quel que soit le sens de la pente. Naître ou mourir, qu’importe, si le franchissement du col est magnifique ?
PERDRE
Eviter d’être possédé par ce qu’on a perdu.
Toujours se demander : qu’ai-je gagné en perdant ?
PERSÉCUTION
Dans l’angoisse du manque, ce qui ne comble pas est perçu comme une persécution.
PERSPECTIVE
Une rupture de perspective peut s’envisager sans chute ni douleur, juste à la lumière de ce qu’elle ouvre et donne à voir.
PESSIMISTE
Plus c’est grave, moins il faut être pessimiste.
PÉTANQUE
La pétanque bouddhiste se joue sans cochonnet.
PEUR
Je n’ai plus l’âge d’avoir peur.
Être en vie permet d’avoir peur. Mais avoir peur permet-il de rester en vie ?
Je n’ai plus peur que de la peur, ce qui suffit à m’inquiéter au seuil persistant de l’émerveillement.
PHOTOGRAPHE
Face à la réalité qu’il cible, le photographe considère son objectif comme un moyen. Ce qui le distingue du peintre ou de l’archer.
PHRASE
La phrase est une branche où bourgeonnent les mots, si bien que les idées finissent aussi par s’y accrocher.
PIERRE
Que celui qui ne s’est jamais noyé m’attache au cou la première pierre !
Dès que les pierres commencent à parler, on devine à peu près la suite…
PIRE
Le pire est moins visible que le rien.
PLACE
Plutôt que de céder à la terreur (fuir) ou à la pitié (s’approcher) : rester sur place.
PLAINTE
La plainte vise un destinataire plutôt que l’abolition de sa cause : promesses et limites de son efficacité.
PLANÈTE
Les capacités infinies d’autoréparation de la planète consolent l’humanité de ses aptitudes à l’avoir gravement blessée. Mais elles ne sauraient l’en excuser.
Une mobilisation – enfin universelle et de qualité – s’impose pour garantir le droit de la planète à laisser l’espèce humaine s’éteindre et disparaître aussi dignement que possible.
PLANTE
Il est plus facile de laisser mourir une plante que de l’arroser chaque jour.
PLUIE
La pluie, et la taille du parapluie !
POCHES
Il est un âge où il ne suffit plus de serrer les poings dans ses poches, mais où il importe surtout de faire le point, sans concession, sur leur contenu.
POÈME
Mieux vaut se taire que ne rien faire, ou mieux encore : se soustraire à la tentation du silence pour faire de sa vie un poème.
POÉSIE
La poésie éclaire les liens entre les mots, elle en défriche et en déchiffre les possibles, elle ravive l’enthousiasme éprouvé pendant l’enfance à les découvrir. Elle se plait à cerner la fleur du prunier pendant que tant d’autres ne pensent qu’aux confitures. La poésie échoue cependant à empêcher qu’on fusille ou suicide les poètes. Elle illumine nos caves.
La poésie est une parole parallèle au monde.
L’un des projets de la poésie consiste à extraire du « rien » quelque chose qui ne soit ni cause ni effet, mais pur reflet de ce qui peuple le vide – et qui n’est jamais « rien ».
POÈTE
Le poète mène l’enquête dans les marges.
POLICE
Tout est possible. La police s’occupe du reste.
POLITIQUE
Posture politique : marcher la tête haute de crainte qu’elle ne tombe. Ou dans cette attente.
PONT
Il est difficile de comprendre que l’homme construise des ponts et puis qu’il les détruise. Mais il est plus facile ensuite d’admettre que chacun se croit libre de monter sur un bateau ou bien de se noyer.
Le fleuve, œuvre des montagnes ; la ville, nécessité des hommes ; le pont, œuvre de nécessité.
Un pont d’amour mène de ce que l’on n’a pas à ce qu’on n’est pas.
PORTE
Aucune porte ne reste fermée à qui a su s’éclipser.
PORTRAIT
Exposition de portraits : qui regarde qui ?
POSSIBLE
Le sens du possible se décante à l’épreuve du temps. Tout ce qui existe à un sens, et ce qui doit arriver finit par arriver. La mémoire, le moment venu, signe une œuvre qui ne lui appartient pas.
Le gardien du possible se moque bien des passages.
C’est moins ce qu’il est qui importe en l’homme que ce qu’il rend possible.
Dans la forêt du possible, autant de fleurs que de brigands.
POUBELLE
La poubelle est la métaphore de ce qui reste de l’être quand il a fini d’avoir. Et la métonymie de ce qui reste de l’avoir quand l’être l’a épuisé.
POUVOIR
Les pouvoirs moribonds se complaisent à attirer les vivants vers leur tombe.
Nul pouvoir n’a de prise sur qui ne craint pas de mourir.
Puissance du bas, pouvoir du haut.
PRÉCAUTION
La précaution est la mémoire de l’avenir. Premières précautions à prendre : refuser la dictature de l’argent et de l’urgent, l’encrassement des circuits du désir par les modes d’accès au plaisir, les injonctions à soigner les blessés plutôt qu’à empêcher les batailles, ne pas céder aux tentations d’intervenir en aveugle quand il faudrait tout d’abord assumer sa lucidité.
PRÉCOCITÉ
L’oiseau précoce s’envole avec sa cage.
PRÉFÉRENCE
Le pourquoi des valeurs, le comment des principes, mais au fond et pour commencer : l’arbitraire des préférences.
PRÉSENCE
Oublier les limites du soi pour faire acte de présence, créer de l’histoire avec les mots de l’instant, même s’ils viennent de la mémoire et qu’ils engagent leur auteur pour plus longtemps que lui.
Une présence insaisissable ne fait pas une absence. A peine pointe-t-elle les limites de l’abstraction, et l’exigence de l’humilité.
PRÉSENT
Oublier les limites de soi pour faire acte de présent.
Tenir une parole sincère, et anticiper dans l’urgence du présent l’œuvre vive d’un espoir.
Le présent est le début de la suite, et l’avenir n’est qu’un nouveau présent. L’arbre ignore pourquoi il pousse, et même son ombre ne s’en soucie guère.
Le présent qui se targue d’avenir s’inspire souvent du présent qui se vante du passé.
Le présent éclaire le passé plus souvent que le passé n’éclaire le présent – sauf peut-être en cas de guerre.
Ne plus être le présent du passé, ni celui du futur, mais juste le présent du présent. Et vivre à bas bruit, sans souffrir ni vieillir.
PRÉTENTION
La prétention est une faute professionnelle pour qui fait office de réfléchir et de le faire savoir.
PRÉVOIR
Comme prévu, rien ne se passe comme prévu. Reste la sincérité.
PRISON
La prison, quelle maudite sécurité ! Mais la sortie de prison, quel absolu pari !
PRIX
Citoyen du monde moderne, faut-il que je sache à quel prix je suis éclairé, transporté, informé, soigné, etc. ou que je sache seulement que je ne le sais pas ?
Loi du marché : le riche impose au pauvre le prix auquel il lui achète le peu dont il dispose encore.
PROBLÈME
Poser la question avant que ne se pose le problème.
PROCÈS
Ne jamais s’interdire de plaider la cause d’un accusé, surtout lorsqu’il n’y a pas de procès.
PROCHAIN
Rien n’empêche, quand on se déteste, d’aimer son prochain. Cela distrait de soi, ouvre des perspectives pour faire le pain, et aide à mourir un peu moins seul plutôt qu’idiot.
PRODUIRE
Que la grande majorité des hommes produise sans jamais posséder, et ceci au profit du petit nombre de ceux qui possèdent sans jamais produire : tel est le scénario qui s’impose depuis des siècles, dans la plus enracinée des indifférences historiques, sans jamais parvenir à éveiller et concrétiser le raisonnable espoir que cela puisse cesser et s’inverser un jour. Que produit donc l’histoire ? Ou plutôt : que ne produit-elle pas ?
PROJET
Le projet, cet esclavage consenti par l’esprit pour s’en libérer.
La main opère le geste, mais c’est le projet qui l’accomplit.
Tout projet devrait, dès sa première pierre, avoir le souci de la beauté des ruines qu’il laissera.
Renoncer à tout projet, c’est encore un projet.
PROTÉGER
Plutôt imaginer que tu me protèges que vérifier que tu ne le peux pas.
Comment nous protéger de ceux qui nous protègent ?
PROUVER
Comment prouver que quelque chose n’existe pas, sinon en partant de ce qui existe. Et encore !…
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