E

EAU

Dans la cruche, toutes les capacités. En l’eau, toutes les couleurs.

Dans l’eau, le dénuement est richesse.

Le propre de la condition humaine est de n’avoir pas d’autre choix face aux biens communs que de s’interdire de les prétendre illimités et d’y puiser à l’infini. Stocker et répartir l’eau pour, avec et entre les peuples fonde toute civilisation attachée à préserver l’alchimie qui transforme le sable en légumes.

ÉCHANGER

J’échange avec toi ce que j’ai contre ce que tu as. Ou plutôt : ce que je n’ai pas contre ce que tu n’as pas. Ou plutôt : ma liberté d’ayant ce que j’ai et de n’ayant pas ce que tu as contre ta liberté d’ayant ce que tu as et de n’ayant pas ce que j’ai. Amour du commerce, ou plutôt : commerce de l’amour.

ÉCHAPPER

Comment échapper à la tentation de refuser de s’échapper ? A qui tourner le dos, quand il n’y a plus personne ? A qui donner, quand nul ne veut recevoir autre chose que ce qu’il a déjà reçu ?

ÉCHEC

Seul un authentique échec peut venir conclure une mensongère réussite.

ÉCHO

L’écho est à ce point le reflet de la voix qu’il semble parfois qu’il la précède plutôt qu’il ne la répète. On en vient de même à se prendre pour le reflet de son reflet, à devoir commenter ce que l’on s’apprête à dire pour se justifier d’avoir à le dire, à repeindre l’après avec les couleurs de l’avant.

ÉCOLE

Conçue pour protéger les enfants du travail, l’école a fini par très tôt les y formater.

ÉCOUTER

Savoir se taire pour écouter. Mais ne jamais écouter dans le seul but de se taire.

ÉCRIRE

Écrire : rencontre de l’encre et de l’ancrage.

Écrire, c’est partir du noir.

Écrire jusqu’à ce que les mots s’effacent devant les actes, mais que le sens demeure lisible.

Être pour écrire, écrire pour être : réciprocité de la réciprocité, reflet du reflet, fausse symétrie des intentions.

Ecrire me permet de mieux savoir – parfois de découvrir – ce que je pense. Et, même, ce que je vais faire de ce que je pense.

Ecrire est la meilleure façon de conjurer le silence en silence.

ÉCRITURE

Dès les premiers encriers où elle s’engage, la plume trouve matière à ouvrir le chantier de chaque question qu’elle rend lisible. Puis vient l’épreuve du feu et l’acier des mots, une fois trempé dans le bain de cette écriture, mesure ce qu’il en coûte de mener le chantier à son terme. Libre et légère se sent la plume qui viendra plus tard tracer le relevé des lieux ainsi organisés !

L’écriture est le plus loquace des silences.

L’écriture naît du désordre et cherche à l’organiser.

L’écriture est cette alchimie qui transforme un inexprimé en un ineffaçable.

Il est une étrange porte au passage de laquelle ce qui faisait que l’écriture empruntait au vécu s’inverse jusqu’au point où elle se met non plus à le reproduire mais à le produire. Pour autant, franchir cette porte ne rend ni magicien, ni même écrivain, à peine généticien, contrebandier peut-être.

L’écriture est le seul présent de l’écriture. Après quoi on peut toujours placer le buvard face au miroir.

L’écrit cantonné à l’écran, le toucher aux touches, le texte au traitement, le brouillon au brouillard : c’est ainsi que l’empire du virtuel conquiert le réel de l’écriture.

ÉDUCATION

Cauchemar : un nouveau-né escalade un mur pendant qu’une voix lui annonce que « chacun est responsable de l’éducation qu’il reçoit ».

Le vent enseigne aux nuages, aux branches et aux êtres l’art de vivre avec lui plutôt que contre lui. L’éducation devrait viser de même à renforcer la confiance de chaque enfant en ses capacités de tenir bon, quoiqu’il arrive.

ÉDUQUER

Eduquer, c’est apprendre à résister à ce qui fait obstacle moins à la liberté individuelle qu’à la vérité partagée. A refuser l’indifférence aux différences. A s’attacher à ce qu’on fait plutôt qu’à ce qu’on annonce. Et à le faire ensemble.

EFFACER

S’effacer plutôt que d’être effacé : renoncement actif. Mais besoin de personne pour se sentir exister sur une page blanche, où tout redevient possible. Sans besoin d’insister, mais en insistant quand même.

On ne peut décider seul de s’effacer. Même cette intention-là annonce et conserve la liberté d’une trace.

EFFICACITÉ

Conviction et méthode sont les deux bras de l’efficacité. Puissance et souplesse en sont les deux jambes.

ÉGOÏSME

Vouloir mourir le premier : égoïsme conjugal.

ÉGALITÉ

L’équité constate les inégalités pour prétendre les compenser, au risque d’en fixer le statut. Affirmer dans les faits l’égalité des droits instaure et active en revanche la dynamique permanente de l’égalisation des chances.

ÉMANCIPATION

Tenir bon et lâcher tout : psychologie des sphincters, expérience et dilemme de l’émancipation (tenir à lâcher ce qui nous retient).

EMPATHIE

L’empathie permet de ressentir la vulnérabilité de l’autre et de l’accompagner vers de nouvelles rencontres sans lui imposer de chemin ni de choix.

Parfois en colère contre mes propres colères, je ne peux me résoudre pour autant à compatir à mes compassions. Je parle de la colère de devoir protéger qui ne me protège pas, et de la compassion envers qui n’est protégé de rien, de personne et par personne. Mais c’est au risque de perdre toute empathie pour l’empathie.

ENCRE

L’encre est plus légère que la plume. Mais une plume gorgée d’encre peut abattre l’avion qui passe, l’immeuble qui se dresse, et jusqu’à l’homme qui les a conçus.

ENDURANCE

Face aux épreuves, mon héroïsme n’est qu’endurance, celle qui garantit la découverte de nouveaux paysages tout en permettant d’affirmer que le chemin est d’abord le sens du chemin.

ENGAGEMENT

Engagement utile, désengagement nécessaire : trotsko-bouddhisme ?

ÉNERGIE

Le projet consistant à épouser la force de l’eau qui coule comporte l’espoir que chaque barrage rencontré soit une promesse d’énergie.

L’énergie est dans le mouvement, et le mouvement dans l’intention

ENFANT(S)

Les enfants font l’histoire qu’on ne leur a pas racontée.

Même Saint-Christophe a fini par plier sous le poids des enfants portés à sa connaissance.

Aucun adulte n’est fondé à s’approprier un enfant au motif que l’un est faible sans l’autre.

Une civilisation qui a de moins en moins d’enfants peut-elle avoir raison d’une autre qui en a tant qu’elle ne les distingue plus de ses soldats ?

Comment protéger de temps à autre les enfants – et de quoi ? – si on leur ordonne le plus souvent de se taire ?

Ecouter les enfants, bien sûr ! Ce qu’ils disent, mais aussi ce qu’ils ne disent pas. Ou pas encore.

Les enfants ne sont pas l’avenir, mais un présent porteur d’avenir.

Si loin de mon enfance et si proche des enfants, je persiste à affirmer qu’un enfant n’a en général pas plus de problème qu’il n’en est la source, mais qu’il est le plus souvent partie prenante de la solution.

Les enfants, ces experts du présent, ces contempteurs des éclipses, ces militants des passerelles…

Elève pour l’école, mineur pour la justice, patient pour la médecine : à quoi veut-on réduire l’enfant en le nommant ainsi, sinon à devenir, être et rester un objet pour ses maîtres et leurs institutions ?

ENFER

Un enfer possible : chaque fois que je pose une question, on m’écoute comme si j’apportais une réponse.

ENGAGEMENT(S)

Il est plus aisé de s’engager que d’assumer ses engagements

Les engagements (que chacun peut prendre) sont des services anticipés (que chacun peut rendre).

ENFERMER

Je t’enferme pour que tu t’en sortes.

ENJEUX

Peu concerné par les enjeux de la réponse, je me concentre sur ceux de la question.

ENNUI

Naître et grandir dans la nuit de l’ennui encourage par la suite à filtrer la lumière et le quotidien selon son propre crible.

Mon ennui s’aggrave des efforts que je fournis pour ne pas le laisser paraître, et c’est alors que je m’enfuis.

ENSEMBLE

Vivre ensemble, c’est d’abord éprouver du plaisir à prendre ses vacances à domicile.

On peut vivre ensemble, même en se haïssant. Mais faire ensemble ?

ENTHOUSIASME

L’essence du génie dépend de ce qui l’enflamme. C’est à cela qu’on reconnaît ce qu’il y a de fragile dans la cause de l’enthousiasme.

Enthousiasmé par l’enthousiasme, je brûle sans cesse de m’enflammer, en équilibre sur le rebord des bassins d’eaux tièdes du quotidien.

ENTRE

Bien mieux qu’un centre qui prétend s’exposer ou un ventre affairé à s’emplir, je suis un entre par lequel chacun peut entrer.

ENTRESOL

Chercher, trouver, habiter enfin cette haute terre, cet entresol du ciel, dont la beauté sauvage, insoumise et tranquille immunise des miasmes de la vallée et des luttes sans objet qui s’y fomentent en vain, jusqu’à l’épuisement, et même au-delà.

ENVAHISSEUR

Du jour ou de la nuit, qui est l’envahisseur ?

ÉPAULE

La main sur votre épaule, amicale, mais qui vous tient à distance : il n’y a pas ici assez de beauté à partager pour se rapprocher plus que cela.

ÉPOQUE

L’époque : espace-temps des drames, carrefour des flips majeurs, elle nous les brise avec son bad trip planétaire, on commence à s’emmerder dans ses parages.

ÉROTISME

L’érotisme est au cœur de la pâte quand, à l’aube de chaque aube, le boulanger la pétrit.

ERREUR

L’erreur corrige la vérité.

ESCALIER

Il n’y a pas d’acte s’il n’y a pas de sens multiples donnés aux attendus de cet acte. Par exemple : construire un escalier de pierre dans la pente de son jardin.

ESPOIR

L’espoir est une vertu qui se cultive plutôt qu’elle ne se conquiert.

Plus d’espoirs, et plus de taxes à payer au désespoir : tel est mon dernier espoir.

L’espoir se construit sur un double principe : nul n’est innocent du naufrage, et chacun est une bouée pour l’autre.

Prononcer une conférence sur l’espoir sans se sentir personnellement concerné est un profond gage d’authenticité, voire même d’efficacité.

ESSENCE

Bien que part infime de l’essence du monde, je la respire à mesure qu’elle m’aspire et m’inspire. A la fois cause et résultat de tout ce qui m’environne, je dépends de tout et tout dépend de moi. Autrement dit : rien ne changera autour de moi si rien ne change en moi. C’est, dit-on, le propre de l’essence.

ESSENTIEL

L’essentiel, c’est ce qui ne m’appartient pas.

L’essentiel n’est jamais très loin, il est juste ailleurs. (Peu importe donc où je suis, si je n’y suis pas vraiment. Mais alors, pourquoi s’asseoir ici ou là ?)

ESTHÉTIQUE

Esthétique : j’interprète le monde, cette interprétation faisait déjà partie du monde, elle peut me transformer. Ou bien : j’interprète ma vision du monde, le monde en est transformé, et cette vision était aléatoire avant que d’être mienne.

ESTIME

Passer de l’intime à l’« extime », par l’opération de l’estime.

ÉTABLI

Rester les bras croisés, au risque d’être écarté de l’établi.

ÉTAPE

L’étape de la nuit est et n’est pas le but de la route du jour.

ÉTEINDRE

Qui trop embrase mal éteint.

ÉTERNITÉ

Un projet de vie n’est rien d’autre qu’un segment d’éternité que prétend habiller le refus orgueilleux de l’improvisation. Mais peut-on échapper à ce qui nous échappe ?

On passe plus de temps mort que vivant, mais l’éternité n’est qu’un passage.

Début de la fin, ou début de l’éternité, c’est tout comme.

ÉTHIQUE

C’est d’un déficit de la raison que provient le besoin d’éthique. Mais si elle guide et alerte ceux qui s’avancent seuls sur les territoires de la passion et de la connaissance, l’éthique les rend plus prudents que raisonnables.

L’éthique se nourrit d’inquiétude et l’organise au mieux (et si c’est au pire, c’est encore de l’éthique).

L’éthique de l’agir « pour », qui est aussi un agir « avec », résulte de ce que cet « avec » est déterminé par ce « pour ».

Entre naufrage et échouage, la volonté éthique encourage la nage. Vivre et survivre sans trahir ni exploiter quiconque, sans boussole et sans bouée, à bout de bras.

L’éthique, c’est se sentir responsable de quelque chose ou de quelqu’un sans y être tenu par rien ni par personne.

La morale : je dois. L’éthique : je peux. Réflexe et réflexion.

ÊTRE

Il ne suffit pas d’être pour avoir été.

On ne peut pas être et être la cause de ce qu’on est.

J’ai mal, mais je suis bien.

Il suffit de savoir que cela est, même si demain cela ne devrait plus être.

L’être est ce qui ne peut manquer. Le dépeuplement vient d’ailleurs.

J’y suis – pourquoi pas ?  –mais sans y être – à quoi bon ?

ÉVEILLER (S’)

Le monde est et n’est pas tel que je le trouve en m’éveillant.

EXASPÉRATION

La consternation est l’autre face de l’exaspération. Et l’irritation l’autre face de l’indifférence. L’exaspération et l’indifférence peuvent, à tout âge, soulever des montagnes.

EXASPÉRER

Exaspéré au point que, croisant un couple avec son chien, je m’adresse au chien plutôt qu’au couple : je sais au moins quel os lui disputer.

EXCLURE

Stupéfait, puis déçu, puis triste, puis perplexe, puis vexé, puis en colère : bref exclu, mais sans savoir pourquoi.

EXISTER

Laisser dire et laisser faire, tant qu’il n’est pas nécessaire de s’opposer pour exister.

Rien n’existe vraiment, tout est déjà écrit.

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