DÉBARQUEMENT
L’insurrection du verbe est à portée de débarquement – d’abord colonial, puis révolutionnaire, émancipateur peut-être.
DÉCEPTION
Intelligence du projet, médiocrité de sa réalisation ; écart entre le savoir-dire et le savoir-faire ; etc. On a en fin de compte les déceptions que l’on mérite.
DÉCHET
Même les déchets peuvent finir mégalomanes.
L’objet crée le déchet.
DÉCISION
Un peu épuisé, j’avais décidé : aujourd’hui, rien. Donc tout. Et tout est venu. C’est ce qu’il y a de bon dans les décisions.
Expert en décisions, je décide d’attendre que la terre cesse de trembler pour tracer mon chemin en connaissance des causes et en méconnaissance des conséquences.
DÉLIBERATION
Délibérer sans fin sur les liens qui libèrent.
DEMANDE
Toute demande peut s’ouvrir à la demande de l’autre.
DEMEURE
Exalté par la menace, rêvant de démesure, fragile par essence, l’esprit de l’homme cherche sa demeure pour mieux la fuir.
DÉMISSION
J’ai écrit la chronique du désespoir. Je veux écrire maintenant l’éloge de la démission.
Plus forte que la démission : l’initiative de la démission.
DÉMOCRATIE
En démocratie, il faut accepter les enfermements dont la majorité a décidé. Mais si l’idéal de la prison l’emporte sur celui de la circulation, il est grand temps de penser à l’évasion.
La démocratie permet de remettre en cause la prétention de l’autorité à détenir et dire la vérité, à moins souvent autoriser qu’à d’abord interdire. En tant que cadre d’accueil des désaccords et d’accompagnement des conflits, elle s’oppose en théorie aux passages en force. Dans les deux cas contraires, la démocratie n’est pas démocratique.
DÉNONCER
Dénoncer, c’est s’imprégner à terme de ce que l’on dénonce. Et s’en alourdir.
DÉPART
L’amour est la cause de la plupart des départs.
Quand souffle le vent du désert, que tombe la neige à gros flocons ou que se referme la brume derrière soi, avancer droit ou revenir sur ses pas ouvre à la forte probabilité de revenir à son point de départ. Dans ces conditions, pourquoi bouger ?
DÉPENDANCE
Nourrir qui me nourrit : forme aboutie de la dépendance.
DÉRAISON
A force de vivre, je me suis fait une déraison : il faut continuer !
DÉSASTRE
Le chacun pour soi face au désastre est plus redoutable que le désastre lui-même. A moins qu’il n’en soit la cause plutôt que la conséquence.
DESCENDRE
Puisqu’il nous faut descendre, apprêtons-nous sans délai à remonter.
DÉSERT
Une île cesse d’être déserte aussitôt que l’on veut s’assurer qu’elle l’est.
Le désespoir d’être maître d’un désert nourrit l’espoir de devenir le serviteur d’un peuple.
DÉSESPOIR
Mon désespoir épargne le monde, et le refus du monde de le reconnaître ne me désespère même plus.
Emoustillé par mon désespoir, je décide de marcher lentement quand tout le monde se met à courir.
Montrer le pire et cacher le meilleur pour autoriser tous les désespoirs.
Ce qu’il faut de désespoir pour ne plus mettre ses pas que dans ceux de son ombre ! Mieux vaut dès lors espérer un désespoir paisible, créatif, sans projet ni trajet et même sans issue.
Le désespoir est une révolte. C’est la seule force apte à me propulser jusqu’à l’échéance du lendemain matin sans me laisser berner par les balivernes émollientes du discours dominant. Celui, par exemple, du bulletin météo qui s’obstine à me présenter les nuages et les pluies comme autant de nuisances : rien de mieux ne peut pourtant, à l’aube, m’ouvrir et me laver les yeux avec l’absolue détermination de m’ajuster aux tendances du ciel, et d’y survivre.
Si l’espoir, selon Emmanuel Kant, est un « devoir moral », le désespoir reste un droit existentiel.
DÉSIR
Recette pour en finir avec la tyrannie du désir : comprendre les obstacles non comme des contraintes, mais comme des ponctuations sur la quête du sens.
L’extinction du désir dénude la vitalité et la somme de s’expliquer.
Il n’y a guère d’équation où le désir ne figure dans le rôle de l’inconnue.
C’est l’autorisation d’être, bien plus que la levée des interdits, qui suscite le désir. Dès lors : plus d’impatience, puisque plus d’autre avenir que le présent vécu ; plus d’angoisse, puisque plus rien ne manque ; plus de fuite en vue. Résultat : le désir à l’état pur.
Désir pas mort, mais sans issue. La tendresse soupire sur le redoublement de la perte.
DÉSOBÉIR
Désobéir : agir par le non agir, puis en assumer les suites et leurs conséquences.
DÉSORDRE
Mieux vaudrait que les désordres du monde soient à l’image des désordres amoureux. Prévaudraient alors l’optimisme ébouriffé de leurs déclenchements, puis l’instinct de survie propre à leurs dépassements.
DESTINÉE
Destinée : carrefour des contradictions ; cécité, malgré tout, de l’histoire.
DÉTACHEMENT
Une fois conscient de l’écart entre le peu de ce que je suis et la profusion de ce que je ne suis pas, le détachement du « moi » devient chose aisée.
DÉTESTER
Je ne peux nier qu’il m’arrive d’aimer détester.
DÉTRESSE
Le désespoir est la douleur de qui ne comprend pas, et la vengeance la douleur de qui croit avoir compris. La détresse est préférable, premier pas vers la redécouverte.
DEVENIR
Je suis ce que je mange ; je deviens ce que je sais.
Un homme n’étant jamais ce qu’il croit être, il lui reste la chance d’être ce qu’il devient.
A quoi bon rougir de ce que nous sommes devenus ?
DEVOIR
Cesser de solliciter les événements. Et par la portière, le coude posé sur la vitre abaissée, regarder défiler sa vie, alors que tout autour le temps libre se consume sous le régime du devoir ?
DICYNODONTE
Le dicynodonte est le premier reptile doté à la fois de quatre pattes et d’une mâchoire avec des dents rentrées. Il anticipe ainsi la lignée des mammifères. Pour faire société, commencez donc par rentrer vos dents, et réfléchissez ensuite à ce qui distingue vos bottes de vos gants.
DIAGNOSTIC
Le diagnostic est l’attention accordée à ce qui est déjà là.
DIEU
D’un dieu qui les aurait créés pour qu’ils se détruisent entre eux et détruisent tout ce qui autour d’eux les inspire et les nourrit, les hommes n’ont qu’une seule chose à faire : l’immoler sans plus attendre sur l’autel qu’ils lui ont consacré.
La preuve de l’existence de Dieu pourrait être cette pierre qui aboie au passage d’un chien, et que celui-ci vient flairer avant de lever la patte sur elle.
Dieu n’est pas toujours là où l’on croit.
Il n’y a pas de Dieu, et je suis son prophète.
DIFFÉRENT
« Je suis plus différent que les autres. » [Emprunté à un enfant de 9 ans]
DIGNITÉ
La dignité se conquiert et se consolide au carrefour de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
DIRE
Faire ce qu’on a dit valorise le dire plus encore que le faire.
Dire, première ou ultime façon de faire, mais tout dépend de là où l’on se trouve.
Dire, laisser faire, dire autrement. Décider, si possible.
DISPARAÎTRE
Qui ne sait plus donner et craint de recevoir ferait mieux de disparaitre.
Il n’y a pas d’heure pour disparaitre.
DISPONIBILITÉ
Paix intérieure, disponibilité à autrui : œuf et poule.
DISPONIBLE
Présent et disponible, apte au futur parce que guéri du passé.
DISTANCE
La distance, cette guerre non violente avec le monde, cette paix violente avec soi-même.
DONNER
Suis-je le mieux placé pour savoir ce que je peux donner ?
Plus je donne et plus je reçois.
Qui peut tout recevoir peut tout donner, s’il n’en attend rien.
On ne peut pas donner ce qu’on n’a pas reçu. Mais, sans rien perdre pour autant, on peut chercher et trouver au fond de soi ce qu’il reste à donner à qui peut le recevoir.
Tout ce qui n’est pas donné est perdu.
DOSE
La terre se met à trembler, et pour certains ne se pose que la question de la dose.
DOUBLE
En matière d’amour ou de suicide, c’est le premier pas qui compte. Parfois double.
DOULEUR
La douleur n’a pas de couleur.
DROIT
Parfois, les petites gens saisissent le droit pour obliger les grands à se pencher sur leur passage. Souvent, les grands vérifient que le droit est courbe.
Je ne crois pas à la paix par le droit si le droit est la cause de la guerre.
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