C

CACTUS

Qu’ils soient, au désert ou ailleurs, grands seigneurs ou petits acharnés, les cactus nous enseignent que la vie tient à bien autre chose qu’à la seule satisfaction des besoins.

CAGE

C’est l’animal qui grossit, et non pas sa cage qui rétrécit.

CALME

Possiblement, le calme accompagne le précaire. Mais pas longtemps.

CAPITALISME

Le capitalisme vise l’alliance entre l’industrie et le commerce des armes et ceux des pansements.

L’hideux, brutal et avide capitalisme peut certes me rogner les ailes, mais il n’a pas (encore) de prise sur mes rêves et sur mes projets d’envol.

CARESSE

La main est caressée par ce qu’elle caresse.

CARREFOUR

Les carrefours sont des lieux de choix pour regarder passer les villes.

CARRIÈRE

Pour faire carrière politique dans le social, il faut savoir capter tous les échos, redoubler tous les sanglots. A moi les hypothèses, elles me rendent savant ! A moi les plaintes, elles me rendent fringant et peut-être convaincant ! Il suffit ensuite de prétendre avoir ausculté le monde tel qu’il ne va pas puis, gorgé de ce qu’ignorent ceux qui se taisent, de dire à leur place, sans savoir et sans rien apprendre de ce pourquoi ils trébuchent. Et surtout de ne rien faire d’autre que carrière.

CATASTROPHE

Face aux catastrophes annoncées : atténuation des causes, adaptation aux conséquences. Oui, mais dans quel ordre (éviter l’ingérable, gérer l’inévitable, etc.) ?

CAUSE

Dire la cause des choses plutôt que la chose-même, en mentionner parfois la cessation.

Tenir bon sur une seule cause, celle qui permettra de ne tenir à rien. Sinon à la possibilité de s’agiter pour conquérir le droit de ne rien faire. Sinon de faire tout ce qu’il faut pour ne plus avoir à s’en faire. Pas même de la disparition des causes.

Je préfère servir les causes qui n’ont pas besoin de moi pour se justifier.

Etant relié à tout, chaque cause que j’active produit son effet, d’une façon ou d’une autre, dans l’entrelacs des autres causes et des autres effets, devenus causes à leur tour.

CELA

L’esprit est habile à repousser, vif à refuser. Mais, en tous lieux où se porte l’attention, une voix commente : « Tu es cela ».

Si cela était un port, ou même une gare ! Si ceci était un bateau, ou même un train !

CENTRE

Au centre, les règles fixent les échanges. En périphérie, les échanges fixent les règles.

On ne se fait du centre que des idées rivales. Le possible, pourtant, commence en dehors de la cible.

Rien ne m’appartient, je ne suis le centre de rien, tout me tient lieu de centre, j’appartiens à tout. Je ne tiens à rien puisque je tiens à tout.

CERVEAU

Le cerveau perçoit ce qui est. Le sujet perçoit en outre ce qui a été fait et ce qui va disparaître.

CHAIR

La chair porte toutes les vérités du cœur.

La chair, siège du conflit, qu’animent les idées, sièges des désirs, qui entrent en conflit : l’humaine condition.

CHANGEMENT

Le changement sert à souligner l’immobilité des choses.

Le refus d’admettre la réalité du changement est une redoutable façon de l’accompagner.

Pas de réel changement sans volonté durable.

CHANGER

Quand rien ne change, le fait d’en être conscient change tout.

Changer avec le monde pour changer le monde.

CHANTIER

Là où le chantier ne se voit pas, là est le vrai chantier.

CHAUFFEUR

Si le corps est le véhicule et le mental son essence, alors qui est le chauffeur ?

CHAUSSEUR

Les meilleurs chausseurs savent s’éclipser sur la pointe des pieds.

CHAUSSURE

On a plus de prise sur ses chaussures que sur son chemin. Aller pieds nus n’y changerait rien.

Habile à fabriquer les chaussures que chacun me commande, je trace pieds nus, sous les sarcasmes, mon chemin de ronces.

CHEMIN

Le chemin le plus court est plus souvent un refus qu’un chemin.

Si long est le chemin, si étrange l’expérience et si incrusté le souvenir de la rencontre avec ceux qu’effraient le chemin.

Le chemin crée le but en même temps qu’il y mène.

Tout chemin est relié à tous les chemins. Il est, de là, impossible de se perdre. Ce qui est parfois regrettable et peut égarer le nomade comme le sédentaire selon l’usage qu’il fait des carrefours.

L’homme emprunte les chemins de traverse, avant de les piller.

CHERCHER

Cherche la personne que tu ne cherches pas.

CHÈVRE

« Je » n’y suis pas, mais je regarde : j’y suis peut-être, un autre moi, comme un oiseau bleu sur le dos d’une chèvre.

CHIEN

Etre le médecin ou le chien de ceux et celles qu’on aime. Etre l’un et l’autre, ou l’un puis l’autre. Délivrer une ordonnance, rapporter la baballe, puis finir le nez dans la neige, sans chien ni médecin à ses côtés.

Qui est traité comme un chien finit par mordre (acte global de défense et d’attaque, et à terme de partage).

CHIOTTES

Ma chérie, même quand je pisse dans les chiottes du dernier train de banlieue, je pense encore à toi et je t’aime.

CHOISIR

Qu’allons-nous désirer, et pour quel avenir ? A nous d’hésiter et de ne pas choisir trop vite.

Ne pas choisir, c’est choisir que rien ne change.

CHOIX

Le choix de ne pas choisir n’est pas un choix comme un autre.

La valeur du choix dépend de ce que l’on écarte plutôt que de ce que l’on conserve.

L’impréparation est un choix.

Un choix résulte moins d’un éclair de lucidité que de l’adoption d’une nouvelle contrainte.

CHOSE

Nous ne parlons jamais vraiment des choses, seulement de comment nous les percevons. Cela modifie singulièrement nos façons d’agir sur elles, entre proximité et approximations. Et c’est ainsi que les choses nous relient, ou pas.

Comment voyons-nous les choses en l’absence de mots pour les désigner ? En attachant un mot à une chose, je la vois autrement, mieux peut-être. Car elle dépend moins de moi pour exister. Mais cela ne saurait durer.

Dire une chose, puis son contraire, puis autre chose encore. Avec la certitude que la vérité sur les choses est indifférente ou étrangère à la façon d’en parler, mais que cette vérité-là ne nous relie pas moins, sous la surface des mots.

CHUTE

Il ne suffit pas de voir un homme tomber pour comprendre les causes de sa chute.

La chute est belle quand elle est acceptée et se sait nécessaire aux relevailles. La pesanteur relie les hommes à travers les temps et les projets.

CIEL

Je m’installe à table et je regarde Dieu droit dans les yeux. « Passe-moi le ciel ! », lui intimé-je. Mais ne passent, librement, que les nuages, les « merveilleux nuages ».

CITADIN

L’ombre du citadin glisse, insensible et docile, sur le trottoir d’une réalité par lui-même ignorée.

Les ascenseurs de la ville n’élèvent pas plus les citadins que ses passages souterrains ne les enracinent.

CIVILISATION

Etre civilisé, c’est avoir des besoins compliqués. La souffrance, cependant, n’apprend rien, sinon que le besoin de la soulager finit par éroder les civilisations.

CLOUS

Traverser entre les clous pour que personne ne puisse deviner à quel point on méprise radicalement, mais secrètement, l’injonction de traverser entre les clous.

CŒUR

Tenir le discours du cœur pour tempérer celui de la loi. Et tenir le discours de la loi pour garantir, dans la durée, le meilleur de celui du cœur.

COLÈRE

Colère : vigoureuse et jubilatoire volonté de refuser que se disent ou s’impriment d’absolus mensonges. La colère doit donc prendre soin de son efficacité.

La colère est cette combustion des brindilles de déception que l’on alimente pour maintenir l’espoir au chaud.

COMBAT

Le plus souvent, la tenue d’un combat importe plus que son issue. Il y a moins de vainqueurs et de vaincus que d’adversaires réalisant qu’ils dépendent les uns des autres. Et de la cause de leur combat.

COMMUNICATION

Communication : nous ne parlons pas de ce que sont les choses, mais seulement de la façon dont nous percevons les choses. Nous agissons sur elles en conséquence.

COMPASSION

Rien n’oppose la compassion au détachement s’ils sont universels, éternels et infinis.

COMPÉTENCE

Licencié pour cause de compétence.

COMPORTEMENT

Mettre de l’ordre dans les comportements adultes avant de s’en prendre à ceux des enfants.

COMPROMIS

L’art du compromis consiste à concilier la tentation de ne recevoir aucune gifle avec celle d’en recevoir deux.

CONCENTRATION

La concentration est l’autre nom du détachement.

CONCLUSION

Je disparais et rien ne change : conclusion ?

CONDITION (HUMAINE)

La condition humaine : marcher droit devant soi, sans cesse, pour se retrouver à la même place.

CONDUITE

Ligne de conduite : faire en sorte que ce que je reçois soit puisse être restitué avec générosité. Autre ligne de conduite : faire en sorte que ce que je restitue soit à la mesure de l’absence au monde qui m’a permis de le recevoir.

CONFIANCE

L’acte de confiance n’est pas celui qui cède aux contraintes, mais celui qui refuse de leur résister.

Le labeur guide celui qui cherche, mais seule la confiance guide celui qui trouve.

Avoir confiance en chacun, sauf en soi-même. Et devenir par là-même le champion du texte libre mais autocensuré, des intuitions trop précoces et donc vilipendées, des hypothèses vérifiées quoique promises au vide-grenier. Il faut néanmoins, et pour cela même, garder confiance en le manque de confiance.

La confiance permet la prise de risques dans les relations et les initiatives humaines. Elle mène au respect mutuel, qui permet de les prolonger et de les approfondir en toutes circonstances.

CONFLIT

Pas d’objet, pas de centre. Pas de centre, pas de cercle. Pas de cercle, pas de limite. Ainsi la conscience est-elle pour elle-même l’objet d’un conflit.

Sans conflit, pas de conscience. Mais sans conscience, pas de conflit.

CONFORMISME

Il n’est rien de plus tordu que le conformisme quand plus rien n’est conforme autour de soi.

CONNAISSANCE

Le feu et la pensée sont des outils de connaissance.

La connaissance des causes ne saurait occulter celle des conséquences. D’autant qu’il y a des conséquences qui éclairent les causes.

CONNAÎTRE

On ne peut connaître les limites de la connaissance.

CONSCIENCE

Toute conscience est lestée de la connaissance de ses liens aux disparus. Pas de présence sans absence.

La conscience du vivant est la conscience de la fin du vivant.

La science de la conscience est promise à la confusion.

CONSOMMATION

Consommez la consommation avec modération !

CONSTRUIRE

Il est superflu de croire ou d’espérer pour construire.

Ce que je dis devient ce que je crois, qui devient ce que je suis, qui perd alors son importance, et plus j’y pense moins je construis ce que je dis.

Je me construis, puis je construis. Je m’autorise à ne rien m’interdire.

Plus on construit et plus on détruit.

CONTINENT

Il y a en chacun de nous un très vieux continent qui nous tend des mains pleines.

CONTINUITÉ

La continuité est l’art d’avancer sans rien sacrifier sur l’autel des incidents de parcours, mais sans nier leur survenue, ni négliger de les mettre au service du sens de ce parcours et de la volonté-même d’avancer.

CONTRAINTE

Du premier cri au dernier soupir, la principale contrainte est de vivre sans savoir pourquoi.

Pour être libre, apprendre à connaître les contraintes qu’on ne peut pas apprivoiser.

Il est contraignant de vivre sans contrainte. De renoncer à agir contre sa propre inaction, à écrire sur l’impossibilité de ne pas écrire, à se saisir des moyens de comprendre comment se passer de ces moyens-là. S’efforcer d’être libre, quelle contrainte !

CONTRÔLER

Nous ne contrôlons généralement guère plus que notre capacité à affirmer, y compris contre toute évidence, que nous contrôlons la situation.

Nul besoin de contrôler les gens qui ont plaisir à vivre ensemble. Quant aux autres, qui contrôle ceux qui ont plaisir à les contrôler ?

CONVAINCRE

Je ne dis que ce que je pense, ne serait-ce que pour m’en convaincre. (Mais si la soupe que je sers est trop optimiste, mon bol reste vide).

CONVICTION

La conviction est ce qui déclenche et ce qu’il reste d’une révolte déterminée à ne pas brûler en vain.

COOPÉRATION

Les enfants persévèrent, jusqu’à ce que les adultes coopèrent.

COQUILLE

La coquille est la caricature du réel du coquillage.

La coquille est ce qui reste du coquillage après que le processus vital, qui l’a construite, s’en soit retiré. Ainsi le signifiant cherche-t-il à survivre au signifié.

CORPS

Le corps, ce langage du réel en nous.

Petit corps devant le temps, corps omniprésent devant l’instant.

CÔTE

Je cherche la côte après avoir brûlé mes vaisseaux, nageant sous les étoiles, trop fier pour accepter la moindre chaloupe.

COULEUR

Les couleurs sont des matières avant que d’être des visions.

COUPABLE

Je me sens moins coupable de ce que j’ai fait que de ce que je n’ai pas fait.

COUPS

J’ai tant parlé d’amour que j’ai fini par me croire crédible. Après quoi, j’ai reçu tant de coups que l’on m’a cru violent, quand je n’étais que naïf.

COURAGE

Courage ! Frottons toujours les allumettes de la souffrance au grattoir du plaisir ! Continuons d’entretenir le feu sacré ! Laissons vieillir notre cerveau de nouveau-né !

Faire face à une absence durable d’amour, donné ou reçu, est une forme extrême de courage.

COURBE

Marcher courbe (et souple) plutôt que tout droit pour s’éloigner sans retour.

COURIR

Courir pour être au courant !

« Il court tout le temps. S’il s’arrêtait, il tomberait malade. » [Emprunté à un plombier mahoré]

Je cours après mes pieds.

COUTEAU

La technologie est l’autre nom du couteau. Promesse de progrès humain, et promesse de renouveau du meurtrier.

COUVERT

Sortez couverts, restez couverts, tombez couverts, mourez couverts : le suicide gentleman

CRÉATEUR

Imaginer le réel, réaliser l’imaginaire : tel est l’ambitieux et modeste mandat du créateur. Et parfois du destructeur.

Il n’est pire création que celle des querelles entre créatures au sujet de la nature ou de l’identité de leur supposé créateur.

CRISE

Entre deux crises, il s’abandonne à l’abandon.

En situation de crise, l’entraide est le premier des remèdes.

CROIRE

« Je crois que je ne crois en rien » est un oxymore. « Je sais que je ne crois en rien » est un choix.

CROYANCE

L’invention d’une panoplie de dieux n’est sans doute pas la cause profonde de la spiritualité d’un peuple. Mais elle est peut-être, avec les rites et les légendes qui s’y rattachent, sa conséquence triviale. Une fois ceci reconnu, que fait et que devient un peuple brutalement privé de ses croyances ? Sinon en inventer de nouvelles, moins oniriques et tout aussi sanglantes ?

CRUCIFIXION

Crucifixion : le mot dont la définition obsédait l’homme qui mourut d’une crise cardiaque devant ses mots croisés.

CULTURE

Malgré les moines et malgré les soldats, la culture relie l’ordre spirituel et l’ordre politique.

CYCLE

La perception des cycles en soi ouvre par frôlements hyper-intimes au sens-même de l’énergie.

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