BALLON
Le ballon reçoit tous les coups de pied, mais jamais ne lui revient l’honneur du but marqué. Pur objet, hors sujet.
BATTRE
Revenir sur les chemins battus ne peut s’apprécier que si l’on ne sent pas battu soi-même.
BEAUTÉ
Devant la beauté, il n’y aurait pas de joie si pure s’il n’y avait de trouble si profond.
La beauté ne se lasse jamais d’attendre ta surprise.
BÉBÉ
Il n’est que de se taire et d’attendre : tout est bien qui est loin, tout est loin qui revient, et le vieux bébé s’endort au moment-même où il croit s’éveiller.
On reconnait les villes très pauvres à ce que, sous la fine pluie d’un ciel sans nuage, des gamines en haillons y trimballent des bébés dont on ne sait si elles en sont la mère ou la grande sœur.
BÉNÉVOLE
Je suis le bénévole de ma propre vie.
BESOIN
Dépasser le besoin, ce n’est pas nier son existence mais refuser de s’exposer à son empire.
BÊTISE
Rien n’est plus insupportable – et dangereux – que la bêtise des gens instruits. Sinon la morgue de ceux qui ont tout envers ceux qui n’ont rien.
BICYCLETTE
Seule la pratique soutenue de la bicyclette permet d’en explorer à fond l’étymologie : machine visant à défier la propension des logiques binaires à servir de moyen de fuite devant la circularité de l’horizon.
BIOGRAPHIE
Quel est le « bilan carbone » d’une biographie ?
BLESSER
Blessé, je ne sais pas encore où je le suis, mais je sais déjà comment.
BLEU
Tous les mots sont bleus, et le poète a horreur des peut-être.
BONBON
Pour l’achat d’un sachet de bonbons, ce qu’il y a d’adulte chez l’enfant tire la manche de ce qu’il y a d’enfant chez l’adulte.
BONHEUR
Le bonheur est moins un droit qu’un devoir.
L’aptitude au bonheur ouvre au devoir de changer le monde (à ne pas confondre avec : l’autosatisfaction déplace les lignes du possible).
Pour concilier, au fil de ses actes, bonheur et liberté : être lyrique sur le « pourquoi ? » et rigoureux sur le « comment ? ». Ou bien l’inverse ? Finalités et méthodes : même combat ?
Rien de tel que le bonheur pour accueillir le malheur d’autrui.
BOUÉE
Chacun est une bouée pour autrui. Ce qui n’interdit pas le naufrage.
A qui ne veut plus vivre ni surnager, l’idée d’une bouée de secours est douloureuse. A quoi bon, d’ailleurs, mettre les sauveteurs en difficulté ?
BRAHMANE
Le brahmane est le barman du temple hindou. Il y concocte des cocktails de dévotion. Puis il présente la note.
BRILLER
Ayant brillé trop tôt, il passa le reste de sa vie à s’éteindre.
BROUILLARD
Il ne suffit pas d’être absent pour disparaître, mais bien plutôt d’être à ce point présent que l’on ne peut plus émarger sur le moindre registre, et pour finir de prendre ses congés dans le brouillard.
BROUILLON
Ce que le brouillon dit de la conception humanise le mystère du conçu.
BRÛLER
Le meilleur ami de l’homme est ce qui reste de lui lorsque son corps a fini de brûler.
BRUME
La brume, toujours la brume : « équidentique »… Et puis une silhouette surgit du champ de brume.
Le chemin est directif : je sais où je vais. Le carrefour est décisif : je vais où je veux. La brume qui les efface est philosophique : je ne sais pas où je suis et je ne suis pas ce que je veux. Enjambement du syllogisme.
BUREAU
Je cherche ce bureau en plein air où je recevrais la beauté du monde sans rendez-vous.
Les idées lumineuses naissent parfois dans de sombres bureaux.
BUT
Détaché de tout but, me voici disponible et jamais inactif.
Le but est au cœur du geste parfait : celui qui, par la sortie de l’indécision qu’il exprime, permet de s’affranchir de l’illusion de la permanence du monde.
En l’absence de but à atteindre, il reste à vivre tout le reste.
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