ABEILLES
Extinction des abeilles pollinisatrices et mellifères pour cause de pesticides : à vouloir produire toujours plus, on finit par produire moins. Revanche des petites bêtes sur les grosses que nous sommes et qui, à trop arroser, n’auront bientôt plus d’eau non plus. En ce monde devenu prison, le régime au pain sec et à l’eau fera alors figure de luxe.
ABOUTIR
Gérer dans la discrétion les écarts entre le conçu et le vécu : le vrai pouvoir consiste à savoir aboutir, quel que soit le chemin, plutôt qu’à faire savoir que l’on veut aboutir ou même qu’on y est parvenu. C’est en restant libre et impliqué, conscient et rêveur, actif et patient, en mouvement et contemplatif, apte à s’engager comme à renoncer, qu’on finit par aboutir, tranquille comme le lac, énergique comme la vague, bienveillant comme une étoile.
ABSENCE
L’être est ce qui ne peut manquer. Si je suis absent de moi-même, seul me manque le témoin de cette absence.
L’épreuve des absences est une cause possible du bonheur.
L’acteur qui joue le rôle du disparu se cherche sur la scène déserte. L’ombre se demande ce dont elle est encore l’ombre. Mais tant qu’on reste vigilant, on reste responsable ; même de son absence, même de l’immanence de son absence.
Être présent à son absence, et la rendre invisible : tel est l’objet de l’effacement, et non pas du projet de « briller par son absence ».
ACCEPTER
Accepter c’est chercher, en courant le risque de ne rien trouver ou de ne trouver que de l’inattendu.
ACCOMPAGNER
Accompagner, c’est accepter d’être accompagné.
ACTE
Tout acte est un poème, pour qui l’assume.
En lui-même l’acte porte ses conséquences et trouve son juge.
L’absence d’acte est un acte qui, le plus souvent, appartient à tous.
L’acte n’est que l’outil qui mène de l’intention au résultat.
Tout acte est une graine confiée à la surface du monde. C’est sous réserve de germination qu’on peut en déduire que tout ce qui est sera.
L’acte représente le sujet sur la scène de l’explicite. L’écrit résulte de ce processus, tout comme la naissance, le meurtre ou l’œuvre d’art.
ACTION
Au fur et à mesure que le langage la saisit, l’action devient pensée : représentation de l’action, et spéculation sur les choix opérés.
Le motif vient en retour de l’action quand elle était le fait d’aller quelque part : on eût pu le trouver sur place.
Lumière et énergie : action et pensée s’éclairent et se nourrissent.
Mon action est un rêve, et mes rêves ricanent de mes actes.
Se demander toujours si l’action ne nourrit pas la folie qui l’inspire.
Toute action est une graine à la surface de ce monde. Tout ce qui est sera.
Pour être juste, l’action doit être belle. L’inverse est moins certain.
ACTIVER (S’)
Nous nous activons pour au moins deux raisons : pour savoir pourquoi nous nous activons, et pour ne pas le savoir.
ADAPTATION
Chaque jour je m’adapte un peu plus à mes capacités d’adaptation.
ADMINISTRATION
Il est usant de se départir des emballements d’administrations qui tentent régulièrement de soumettre la réalité à l’image qu’elles s’en font.
ADOLESCENCE
L’adolescence s’apaise dès qu’il devient évident que c’est le miroir qui souffre d’acné.
AGIR
Penser large, agir dès que possible. Agir à la base, chahuter le sommet.
C’est en agissant avec qu’on agit pour.
Agir dans l’espace qui sépare ce qui est de ce qui pourrait être.
AIMER
Le plaisir de t’aimer suffit à mon sourire.
Aimer une fois, c’est pouvoir aimer toujours.
Certains sont aimés à la mesure des services qu’ils rendent, d’autres se sentent aimés à la mesure des folies qu’on fait pour eux.
ALERTE
Une alerte précoce vaut mieux qu’un sanglot tardif.
ALIÉNATION
L’aliénation commence quand on accepte de dénoncer, même sans contrainte, ce qu’a librement fait sa main.
ALLER
Savoir où l’on ne veut plus aller aide à se rapprocher du point de savoir où l’on va.
Je ne suis pas là où je vais, je vais là où je suis.
AMBITION
Un beau jour enfin, ne reste qu’une seule ambition : celle de n’en plus avoir.
AMBIVALENCE
L’ambivalence est un droit de l’homme.
ÂME
Résilier tous les abonnements à la cause humaine, et s’enrôler dans les brigades spéléologiques de l’âme ?
AMOUR
En ces temps là, je voyais des demandes d’amour partout, même là où il y en avait.
L’amour est un état qui s’efforce de répondre à la beauté par la tendresse, mais le désir n’en sait rien et la beauté s’en moque.
Faire l’amour semble toujours un peu premier, toujours un peu dernier.
Que nul ne puisse vivre sans amour ne fait pas de celui-ci un repère.
Donner de l’amour enrichit surtout le donateur, même s’il n’en reçoit pas en retour. Etrange transaction… Mais l’amour n’est pas une substance.
ANNEXION
Rien de tel que de paraitre fort pour susciter les désirs d’annexion.
ANIMAL
Splendeurs du monde animal : un scorpion se promène sur le nounours.
Chassez l’animal en vous, et il revient au galop !
ANONYME
Le « H » est une lettre anonyme postée dans la bouche de son auteur.
APPARTENIR
Ce qui m’arrive ne m’appartient pas, et je peux donc en faire usage sans en être possédé.
APPRENDRE
Être confronté et apprendre : tels sont les termes de l’équation humaine. Peu importe la variable : c’est l’étincelle de la méconnaissance qui met le feu aux poudres.
Apprendre pour comprendre. Comprendre pour agir. Agir pour rêver.
AQUARIUM
Rien ne garantit que, dans son aquarium, le poisson rêve de rivière.
ARBRES
Les arbres sont les diplomates de la terre en pays de ciel.
Les arbres sont fidèles comme des chats, indifférents de même, insouciants de leur propre beauté.
ARGENT
L’argent liquide versé pour fluidifier les relations sociales finit toujours par salir ceux qu’il arrose.
ARGUMENT
Tes arguments m’intéressent plus que les miens, que je connais par cœur.
ARROGANCE
Se tromper avec arrogance met à mal la confiance. Du moins faut-il le souhaiter.
ARTISTE
L’artiste donne à voir, à entendre et même à lire, bref à éprouver, ce à quoi les mots, par eux-mêmes, ne suffisent plus.
ATTENDRE
Attendre, et s’élever.
Ne rien attendre d’autre que la fin et, mieux encore, le dépassement de l’attente.
Tout peut arriver à qui sait ne rien attendre.
ATTENTE
Toute attente, y compris celle de la mort, s’inscrit dans un projet. Elle n’en est pas une phase, juste un décentrage vis-à-vis du présent, une tentative de réduire la tension entre celui-ci et le futur. On risque au total d’attendre pour rien. Mieux vaut donc ne rien attendre, et préférer l’espoir. Pour projeter, il faut être totalement présent, disponible à ce qui est. Pour le reste, le projet doit laisser venir l’inattendu, lui faire sa place sans le prévoir.
Qui n’attend rien est partout à la fois. Il est à lui seul, depuis toujours, l’histoire et le présent du monde entier. Mieux : sa façon d’être et de ne pas être s’en sort indemne, immobile et dispersée. Le mouvement seul demeure, loin de toute attente.
L’attente est le présent du futur.
Attentif plutôt que dans l’attente.
AUBE
Pour le dormeur comme pour l’insomniaque, l’aube est une option désirable, et susceptible de les réconcilier. Éveil de l’éveil, découverte de la découverte, elle les dissuade de s’enfuir, elle fait fuir l’idée de la fuite. Attention sans attente, elle éclaire mieux que le rêve ou la vigilance extrême la possibilité d’être et de savoir.
AUJOURD’HUI
Comment voyons-nous aujourd’hui le lendemain d’hier ?
AUTOBIOGRAPHIE
L’autobiographie d’un anonyme amnésique est sans nul doute truffée de belles surprises.
AUTONOME
Etre autonome, c’est être librement installé au carrefour des dépendances.
AUTORITÉ
Les relations d’autorité s’appuient sur les échecs des lumières du dedans à prévaloir sur les ténèbres du dehors.
Quand l’interdit excite et que l’autorisation apaise, de quel côté est l’autorité ?
AUTRE
Le point de vue de l’autre est nôtre : résolument différent, fondamentalement identique, nécessairement partagé.
AVANCER
Avancer, quand bien même on n’y voit pas clair.
AVEUGLE
L’aveugle au muet : « je vois ce que tu veux dire ».
Même les aveugles, surtout les aveugles, ont le droit de foncer vers la catastrophe.
Comment les aveugles traversent-ils leurs nuits blanches ?
AVENIR
L’avenir vient de loin.
Ni plombé ni radieux, l’avenir contient tous les possibles.
L’avenir n’est pas né. Il n’est pas même annoncé.
Ce que je pense que je vais faire se substitue à ce que je vais faire. La façon de penser l’avenir modifie donc l’avenir. A se demander si l’avenir existe.
L’avenir ne se partage que dans l’instant.
Devenu le présent du passé, puis-je m’offrir à être celui de l’avenir ?
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