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Je vois sortir de l’ombre quelques musiciens masqués qui se concertent. L’un d’eux sifflote un thème qui fait un vrai malheur depuis le temps des cavernes. J’leur dis : « Je connais ce thème ! « . Ils rigolent et me coincent sous l’premier réverbère. J’leur dis : « Ça tombe bien, je vous cherchais ». J’ajoute : « S’il faut signer, je signerai ». Ils disent : « OK, mais on a seulement besoin de trois fois rien : d’un vieux piano qui saigne ». |
Voici qu’ils longent le fleuve, marchant à pas de gang, brûlant des partitions. Aucun drapeau ne flotte, mais ils astiquent leurs cuivres, pas question de dormir. J’leur dis : « Je connais du monde ! « . Ils rigolent et me piquent mon vieux carnet d’adresses. J’leur dis : « Attendez au moins un peu que j’vous dise ; c’est pas des miliciens du temps des cerises ! « Ils disent : « OK, ils auront bientôt besoin de nos remèdes pour les pianos qui saignent ». |
Une fois traversé le pont, ils abattent des arbres pour dresser une estrade. Et la journée commence ; ils déballent des slogans qu’ils chantent a cappella. J’leur dis : « On connait le refrain ! « . Ils rigolent et promettent des couplets inédits. J’leur dis : « Sur cette berge, y’a guère de clients ; à peine quelques enfants grinceurs de dents ». Ils disent : « OK, mais cet ivoire a besoin de tout l’ébène des vieux pianos qui saignent ». |
Ils ont installé la scène, diffusé leur programme, donné des instructions. Les projecteurs s’allument pour une poignée de badauds munis d’invitations. J’leur dis : « Je connais la règle ! « . Ils rigolent et m’affirment qu’il s’agit de l’élite. J’leur dis : « J’vous l’avais dit, c’était écrit ; ici c’est ainsi, du dimanche au samedi ». Ils disent : « OK, pas besoin d’remplir les caisses, il nous suffit que quelques pianos saignent ». |
Pourtant ils replient bagage, maudissant la cité et crachant dans le fleuve. Les riverains sommeillent ; il ne reste que la lune pour rêver d’insomnie. J’leur dis : « Y’a toujours des vaincus ! « . Ils rigolent et murmurent : « La lutte continue ». J’leur dis : « Si vous croyez, alors vous pouvez ; mais si vous le voulez, faudra le prouver ». Ils disent : « OK, ce n’est pas si compliqué de transfuser les vieux pianos qui saignent ». |
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50 - Les vieux pianos qui saignent
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